MEDIAPART 2018 10

Abus sexuels dans l'Eglise: en Vendée, d'anciens séminaristes brisent le silence

31 OCTOBRE 2018 PAR PIERRE-YVES BULTEAU, DAPHNÉ GASTALDI ET MATHIEU MARTINIÈRE (WEREPORT)

Dans le diocèse de Luçon, des séminaristes accusent une quinzaine de prêtres de faits de pédophilie. Les faits remontent aux années 1950 et se sont étalés sur au moins trois décennies au cœur de la rurale et conservatrice Vendée.

« Seigneur, nos vies d'enfants ou de jeunes ont été brisées, parfois à jamais au sein de ton Église, par tes membres et dans l'indifférence et l'abandon d'autres, en particulier de responsables. » La prière du prêtre résonne comme un cri. Une colère froide. « Ce mal, il est profond et il atteint ton Église, il vient de ton Église », écrit le clerc dans un texte transmis à Mediapart, qu'il espère voir diffusé prochainement dans son diocèse.

De lui, on ne pourra dire que le strict nécessaire, son nom devant rester anonyme. Malgré ce qu'il a subi lors d'une colonie de vacances, il est toujours prêtre en paroisse. Violé à l'âge de huit ans par un prêtre de Vendée, cet homme d'Église va témoigner à Lourdes ce samedi 3 novembre, face aux évêques de France, réunis pour leur assemblée plénière.

Ces derniers mois, les révélations se sont accumulées dans le diocèse de Luçon. Pour la première fois, des prêtres témoignent auprès de Mediapart d'affaires cachées pendant des décennies en Vendée, en suivant un mode opératoire classique, fait de déplacements et de silence organisé.

Après deux ans de scandales au sein de l'Église catholique , la chape de plomb a enfin sauté dans ces terres rurales et conservatrices.

Pour une grande partie des victimes, l'électrochoc s'est produit lors de la publication du livre de Jean-Pierre Sautreau, Une croix sur l'enfance en Vendée (Geste, 2018), paru à la fin août dernier. Dans cet ouvrage, l'auteur décrit un sacrifice des « agneaux » au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers - rendu célèbre par une émission de téléréalité en 2004. Il y dénonce ouvertement plusieurs prêtres pédophiles présumés, ayant sévi dans les années 1960.

La cour des petits de Chavagnes. © DR

À peine sorti, le livre est en rupture de stock. Les courriers de lecteurs affluent, pour témoigner eux aussi. La Vendée ne passera pas sous le radar du scandale des abus sexuels. En quelques semaines, des victimes contactées par Mediapart ont dénoncé une quinzaine de prêtres pour des faits d'agressions sexuelles, commis entre 1950 et 1980. Des prêtres, formés au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers, nous ont également confirmé des cas de pédophilie dans certains établissements catholiques ou des colonies de vacances gérées par des curés de Vendée.

Les prêtres accusés sont presque tous restés en poste. La plupart sont aujourd'hui décédés, mais nous avons pu rencontrer longuement un prêtre présumé agresseur dans son presbytère du littoral vendéen. Plusieurs décennies après les faits, en 2012 et 2016, l'évêché de Luçon a finalement fait un signalement auprès du procureur de La Roche-sur-Yon. Mais les faits de pédophilie, « bien que solidement établis » selon le diocèse, ayant eu lieu au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers et à l'institution d'enseignement catholique Saint-Joseph de Fontenay-le-Comte, étaient prescrits.

Interrogé par Mediapart, l'évêché de Luçon confirme qu'une enquête interne vient d'être lancée dans le diocèse. Après des années d'inertie, le nouvel évêque monseigneur Jacolin, arrivé en Vendée en juillet 2018, nous a annoncé la suspension de tout ministère public de deux prêtres, accusés de faits de pédophilie à Chavagnes-en-Paillers, « en attendant des sanctions plus radicales qui dépendent du Vatican et qui demandent du temps ».

En réaction à nos questions, le diocèse de Luçon a préparé un communiqué dans lequel il confirme que « huit à neuf prêtres » sont concernés par des actes de pédophilie au sein du petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers, et que quatre prêtres sont accusés à l'institution Saint-Joseph de Fontenay-le-Comte. Trois sont aujourd'hui encore vivants (lire en Boîte noire).

Parmi les victimes, Paul Bernard a été l'un des tout premiers à lancer l'alerte. En 2012, face à l'inertie de l'Église, il témoigne dans le journal vendéen Le Sans-Culotte 85. Depuis un an, cet infirmier à la retraite, âgé de 65 ans, est de retour en Vendée. La terre de son enfance, qu'il avait quittée pendant plus de trente ans pour l'île de la Réunion. Laissant à près de 10 000 kilomètres cette jeunesse blessée, meurtrie, dont les cicatrices ne se sont jamais vraiment refermées. « Nous sommes revenus car j'avais une maison et ma fille étudie ici », confie Paul à Mediapart. « Mais personnellement, je n'avais pas du tout envie de me rapprocher de la Vendée. J'ai trop souffert dans ce département. »

Depuis son retour, Paul n'a pas remis les pieds sur la commune de Chavagnes-en-Paillers. Même si, en 2005, lors d'un court séjour en métropole, il avait tenu à y emmener sa femme et sa fille. Il voulait montrer à sa famille l'endroit où il avait tant souffert, enfant. Dans ce pensionnat catholique, une institution de Vendée. « L'entrée était grande ouverte, les grilles étaient tombées. Le lieu avait été racheté par des Anglais », raconte Paul. Devant le petit séminaire, les souvenirs resurgissent. Ils le ramènent, douloureusement, près de cinquante en arrière.

Nous sommes au début des années 1960. Paul a 9 ans. Il vit dans la campagne vendéenne, à la ferme. Ses parents sont pauvres, peu éduqués. Sa mère ne parle pas le français, mais le patois. Son père ne sait ni lire ni écrire. Il a un frère, de cinq ans son aîné, mais qui ne vit plus avec lui depuis des années. « Il devait avoir six ans quand un prêtre a pris mon frère, l'a volé aux parents et l'a déposé dans sa cure », lâche avec aigreur Paul. À l'époque, l'Église recrute massivement dans les familles, finançant les études des enfants. « Le curé a harponné mon frère parce que mes parents étaient dans la misère sociale. »

La photo de rentrée à Chavagnes en 1960. © DR

Cette année-là, le père A., surnommé « Grand Cheval », écume la campagne et les écoles primaires. À la recherche d'enfants, candidats à l'entrée au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers. Dans un premier temps, Paul y est envoyé quelques jours en retraite. « Pendant trois jours, il y a eu des jeux dans les bois et beaucoup de cérémonies religieuses que je trouvais pesantes », se souvient Paul. Puis vient le temps de la confession. L'enfant se retrouve seul avec le père C. Un homme « grand, maigre, chauve »dans une chambre aux « odeurs de cire d'Église », selon ses souvenirs d'enfant.

« Je me suis agenouillé sur le prie-dieu, raconte doucement Paul. Il m'a parlé d'éducation, si je savais comment naissaient les enfants. Il n'a pas entendu de réponse, j'aurais été bien incapable de lui en donner. Puis sa main a caressé ma cuisse, j'étais en culottes courtes. Elle est arrivée sur mon sexe, qu'il a empoigné et s'est mis à me masturber. Ça a duré, pour moi, très longtemps. »

Le jeune garçon n'en parlera jamais à ses parents. Trop de non-dits dans la famille, face à une institution sacrée. « C'était hors de question de parler de quoi que ce soit, notamment tout ce qui touchait à la sexualité », tente-t-il d'expliquer aujourd'hui. Deux ans plus tard, l'adolescent rentre au petit séminaire, comme son grand frère avant lui, en classe de 6e. Il y restera quatre ans. Une éducation religieuse très dure, faite de privations et de prières.

« D'une prison végétale à la ferme, je me suis retrouvé dans une prison avec de grands murs en pierre, gris. Enfermé, avec des grilles. On ne sortait pas les week-ends », explique ce dernier. « Chavagnes était un étouffoir, confirme Léon Moreau, ancien élève et professeur au petit séminaire, entre 1957 et 1959. C'était tout un système impressionnant. Notamment de la part d'un homme comme "Grand Cheval", tellement dans son projet, dans cette vision de remplissage du séminaire pour fabriquer des petits curés à la chaîne. »

Au sein du séminaire, le confinement à l'extrême va conduire à de graves dérives. Mediapart a recueilli plusieurs témoignages dénonçant de multiples agressions sexuelles commises sur les enfants du petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers, entre les années 1950 et 1970. Selon le diocèse de Luçon, qui a répondu à nos questions, « huit à neuf prêtres » seraient concernés, la plupart aujourd'hui décédés. « En plus du père C., qui n'a recommencé que deux ou trois fois, j'ai eu trois autres agresseurs. C'était pendant les cours, quasiment tous les jours. Ils caressaient au niveau du cou, des bras, du dos et parfois, ils caressaient aussi la cuisse. C'était alors des attouchements par-dessus les vêtements », explique Paul.

Jean-Pierre Sautreau, l'auteur du livre Une croix sur l'enfance en Vendée, se rappelle lui aussi précisément de son agresseur, son confesseur. « Il rapproche avec perfidie les aveux du prie-dieu de ses propres observations, écrit-il dans son livre. Là, l'agenouillé est sa proie. La petite bête qui monte, le petit animal immonde est dans ses griffes. Là, il touche à la tache mortelle, à la souillure qui fait du confessé un délinquant. Soudain, fébrile, il se venge ou se risque. »

Un lourd secret de polichinelle

Pendant des décennies, les abus sexuels commis au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers sont un lourd secret de polichinelle. « La proportion de suicidaires est vraiment supérieure à la moyenne. Leurs malaises ont été non éclaircis », affirme à Mediapart l'ancien psychologue Michel Pavageau, créateur et responsable du service de psychologie à la Direction de l'enseignement catholique de Vendée, de 1967 à 2001, et qui a interviewé plusieurs anciens séminaristes de Chavagnes.

« Ça m'a fait un choc traumatique très important qui me poursuivra jusqu'à ma mort », nous confie Paul, plus de cinquante ans après les faits.

Le dortoir de Chavagnes. © DR

Cette enquête a été menée par Pierre-Yves Bulteau, correspondant de Mediapart à Nantes, et par Daphné Gastaldi et Mathieu Martinière, membres du collectif We Report, qui collabore régulièrement avec Mediapart. Ces derniers mois, ils ont recueilli de nombreux témoignages sur les abus sexuels au sein de l'Eglise catholique en Vendée. Dans l'article, la plupart des prêtres accusés ont été anonymisés, quand les prêtres n'ont pas été jugés, que l'individu accusé n'a pas reconnu les faits ou est décédé.

Pour recueillir les paroles des victimes et des témoins d'abus sexuels, une boîte mail spécifique a été créée temoins@wereport.fr. L'anonymat et le secret des sources seront respectés.

Depuis 2016, le collectif de journalistes indépendants We Report réalise une enquête sur les abus sexuels dans l'Eglise catholique de France. Ce travail d'investigation a pris la forme d'un ouvrage Église, la mécanique du silence (JC Lattès, 2017) et d'une collaboration Cash Investigation en 2017.

Interrogé par Mediapart, le nouvel évêque de Luçon, Mgr Jacolin, a répondu à nos questions et a préparé un communiqué que nous diffusons en intégralité :

« Dans la période allant de 1950 à 1979, certains prêtres ont failli gravement en commettant des abus sexuels, gestes inacceptables, sur des enfants qui leur étaient confiés dans le cadre du petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers ainsi que dans le cadre de l'institution Saint-Joseph de Fontenay-le-Comte.

Notre pensée va avant tout vers les personnes victimes de ces prêtres lorsqu'elles étaient enfants. Les meurtrissures morales et spirituelles de tels gestes les ont blessés pour toute leur vie. Au nom de l'Église, je les assure de notre plus profonde contrition pour ce que certains prêtres leur ont fait subir et je leur demande de croire que nous cherchons à leur rendre justice.

J'implore aussi la miséricorde de Dieu parce que de tels actes obscurcissent gravement la lumière de l'Évangile que le Christ est venu apporter pour le salut de tous les hommes.

En ce qui concerne Chavagnes, 8 à 9 prêtres seraient concernés, dont 2 sont en vie. En ce qui concerne Fontenay, il y a des témoignages mettant en cause 4 prêtres dont 1 encore en vie.

En 2012 et 2016, au vu des éléments connus alors, deux signalements avaient été faits auprès du procureur de la République. Après enquête, la justice civile avait abandonné les poursuites, car les faits, bien que solidement établis, étaient prescrits.

Pour l'Église, il n'y a pas de prescription à la souffrance des personnes concernant les actes pédo-criminels. Je suspends provisoirement de tout exercice public de leur ministère les deux prêtres en question, en attendant un jugement définitif de l'Eglise. Pour le troisième prêtre, il est nécessaire de commencer par une recherche approfondie.

La grande majorité des prêtres qui ont exercé dans ces établissements n'ont pas commis d'actes pédocriminels envers les enfants qui leur étaient confiés et la plupart n'ont pas eu connaissance des agissements de certains de leurs confrères : il serait injuste de tous les accuser en bloc.

Encore une fois, je tiens à demander pardon pour les victimes de ces quelques prêtres. Soyons tous vigilants, prêtres tout d'abord, mais aussi éducateurs et familles, pour que de tels actes pédocriminels ne puissent se reproduire aujourd'hui. »

Il faudra pourtant attendre des années pour qu'il décide enfin à libérer sa parole. Le 12 juin 2011, Paul écrit, depuis l'île de la Réunion, au procureur de la République de La Roche-sur-Yon pour dénoncer les agressions sexuelles subies au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers. Mais l'ensemble des faits, déjà prescrits, « interdit toute procédure, toute suite pénale », lui écrit le procureur le 22 juin. Selon les informations de Mediapart, une enquête préliminaire, comportant la mise en cause de plusieurs prêtres passés par le petit séminaire, a été classée sans suite en juin 2010. Les faits dénoncés, commis dans les années 1960, étaient eux aussi prescrits.

Quelques années plus tôt, en 2005, Paul a également lancé une demande d'apostasie, soit le reniement officiel de sa foi chrétienne et des sacrements religieux. Dans un courrier envoyé au curé de sa paroisse, il racontait tout. L'enfance volée de son frère, les agressions sexuelles du père C. Du diocèse de Luçon, il ne recevra, le 28 février 2005, qu'un accusé de réception formelle de sa demande d'apostasie, ne faisant aucune mention des abus. Avec ces mots, pour le moins déplacés : « Sachez que l'Église regrette votre volonté de rompre toute communion avec elle par le reniement de votre baptême (...). Même si vous reniez ces faits, ils restent à jamais écrits dans votre histoire. Nul ne pourra les effacer. »

Sur les quatre prêtres que Paul a identifiés comme étant ses agresseurs, l'un est encore en vie. Nous avons retrouvé sa trace, en suivant une piste qui nous a directement menés sur les bords du littoral vendéen. Il faudra insister un bon quart d'heure auprès du doyen de la paroisse, dans les premiers frimas de l'hiver, pour que la porte s'ouvre sur un petit homme, littéralement cassé en deux. Le père D., âgé de 81 ans, « accepte de vous rencontrer », lâche finalement le doyen de guerre lasse.

Nous suivons le père D. dans une pièce surchauffée. Au bout d'un quart d'heure d'entretien, au sujet du livre de Jean-Pierre Sautreau et du petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers, nous en venons aux accusations d'agressions portées par Paul à son encontre. « Alors là, ça c'est... Ça, c'est un mensonge... », ne cesse de répéter l'octogénaire qui marque, à répétition, de longs silences. « Ou je suis fou alors mais... Je suis bien sûr que je n'ai jamais fait ça avec un élève. » Après un silence davantage marqué que les autres, il reprend : « On peut nous accabler de n'importe quoi... S'il faut... Si même accusé injustement, il faut aller en prison, on ira en prison que voulez-vous... » Après une heure et demie d'entretien, le père D. n'en dira pas plus.

Comme ce vieux prêtre à la retraite, voilà l'Église de Vendée rattrapée par « une volonté de transparence que l'on peut lier à "l'affaire Weinstein" et à la libération de la parole qui s'en est suivie avec #MeToo », analyse un ancien proche de l'évêché. Dans son communiqué envoyé à Mediapart, l'évêque de Luçon Mgr Jacolin tient tout de même à rappeler que « la grande majorité des prêtres qui ont exercé dans ces établissements n'ont pas commis d'actes pédocriminels envers les enfants qui leur étaient confiés et la plupart n'ont pas eu connaissance des agissements de certains de leurs confrères : il serait injuste de tous les accuser en bloc ».

En tout cas, on n'avait pas connu telle opération de déminage de la part du diocèse de Luçon depuis le 6 mars 1997. Ce jour où l'abbé Noël Lucas, l'un des principaux collaborateurs de l'évêque de l'époque, est mis en examen pour viols et agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans et écroué à la maison d'arrêt de Fontenay-le-Comte. Par la voix de Mgr Garnier, évêque de Luçon de 1991 à 2000, l'Église de Vendée décide de prendre les devants et révèle à la presse l'incarcération de l'abbé. Dans un communiqué, il déclare qu'il « va de soi que l'évêque de Luçon laissera [la justice] suivre son cours, sans chercher ni à excuser ni à couvrir l'un des siens ».

Spécialiste de « l'affaire Lucas », qu'il a rencontré lors d'un long entretien, Joseph Merlet, prêtre-sociologue, coauteur du livre-enquête Le Sacré incestueux - Les prêtres pédophiles (Desclée de Brouwer, 2017), raconte à Mediapart le parcours d'un homme « extrêmement brillant, qui parlait six langues » et chez qui « la pédophilie commence très tôt ». Mais aussi ce mode opératoire désormais classique, fait de déplacements et de silence organisé. « On l'a toujours mis dans des situations de promotion parce qu'il était extrêmement brillant, croit savoir Joseph Merlet. C'est l'un des énormes reproches que l'on fait au diocèse, c'est de ne pas avoir pris de précautions. »

Un mode opératoire qu'ont toujours nié en bloc Mgr Billé et Mgr Garnier, deux prélats en poste en Vendée. Cela, malgré la déposition du frère de Noël Lucas, parmi les premières victimes, racontant au procès puis dans un livre comment, en avril 1967, il décide d'aller prévenir Louis-Marie Billé, à l'époque professeur d'écritures saintes au grand séminaire de Luçon.

Interrogé à l'époque du procès par le journal catholique Golias, celui qui deviendra archevêque de Lyon en 1998 - et qui couvrira les abus sexuels du père Bernard Preynat - répétera « n'avoir absolument aucun souvenir d'une rencontre comme celle dont il est question ». De son côté, Mgr Garnier dit n'avoir été informé des faits qu'en 1996. Pourtant, le père d'une victime a affirmé, sous serment, en avoir informé l'évêque deux ans plus tôt, en 1994.

Revenant à cette libération de la parole qui secoue actuellement l'évêché, notre source proche de l'évêché « pense aussi qu'il faut réinterpréter cette culture du silence au regard de cette époque ». Une époque à remonter le temps qui nous conduit directement au début des années 1930. « Dans le dur des bourgs vendéens, la mentalité des porteurs de faux de 1793, à nouveau aiguisées par la loi de 1905, n'a guère évolué », écrit, de son style acéré, Jean-Pierre Sautreau. Pour lutter contre « les dangers mortels menaçant l'Église », le diocèse de Luçon « a besoin de bras ». Il lance alors une vaste opération de recrutement, en deux temps. D'abord par la création de l'Œuvre des vocations ecclésiastiques, en 1934, puis par l'ouverture de « l'année du sacerdoce et des vocations », en 1959.

À la manœuvre, on retrouve essentiellement deux hommes : le père A. et Mgr Cazaux. Le premier est nommé par le second recruteur de l'Œuvre. Sa stratégie est toujours la même : cibler des enfants issus de familles nombreuses, modestes et très croyantes. « Il y avait un vrai travail de maillage entre les instituteurs, les prêtres et "Grand Cheval", confirme un ancien séminariste. Ils allaient de classe en classe, repérer les meilleurs éléments et, une fois les enfants ciblés, ils les invitaient trois jours en retraite au petit séminaire de Chavagnes, pour les acclimater. »